Archives des articles tagués Yarnbombing

Après 3 années d’activités intenses, lufoques et joyeuses, le collectif Les Ville-Laines tire sa révérence. Ce fût un privilège de faire partie de cette aventure. Inspirées par l’essor du yarnbombing, cinq femmes se sont unies afin de se réapproprier la rue et d’inviter les gens à retisser le lien social. Tout cela dans un but commun de créer un espace utopique où le bonheur se mesure au toucher et non au compte en banque. Comme dans tout élan idéaliste, l’actualisation des potentialités humaines exigent parfois que les chemins se séparent. L’énergie spontanée qui a alimenté le collectif se redéploie ainsi, désireuse de se réactualiser et de conquérir de nouveaux horizons; loin de perdre de la vitesse, elle se dynamise. Ce que j’ai appris et partagé durant ces années continuera à m’habiter longtemps. Transmuter, telle est la force du collectif.

Champs des PossiblesChamps des PossiblesL’argent ne fait pas le bonheur, tricot-graffitis du collectif Les Ville-Laines, Champs des Possibles, Mile-End, Montréal, Novembre 2014

OlekLe dernier coup d’éclat d’Olek crée des remous et pose de très bonnes questions sur les valeurs entourant la pratique du tricot-graffiti. En voulant attirer l’attention sur la menace d’extinction des requins en recouvrant une sculpture du musée sous-marin de Cancun, l’artiste aurait par mégarde endommagé la faune aquatique selon un article récent du Huffington Post. Agir sans permission est le propre du graffiti. C’est une façon de laisser sa marque et se réapproprier l’espace public. C’est audacieux et souvent déroutant, voire confrontant. La laine confère tout de même un aspect doux et acceptable à ces actions illégales. D’autant plus que le textile, de par sa nature, connote la protection et non la destruction. La bombe aurait très bien pu réussir à secouer les consciences en matière de protection de l’environnement. Au lieu son détonnement semble s’être noyé dans une conjoncture entourant la légitimité morale et le bien fondé de sa démarche. Une oeuvre ou même un geste artistique appuyant une cause sociale se doit d’être avisée et hautement éthique afin de garantir son succès et préserver l’intégrité du message. Olek qui est loin d’être une amateur aurait pu prévoir le coup. Dans ce cas de figure, la bombe à retardement, et le véritable danger, c’est de vouloir à tout prix repousser les limites, en mettre plein la vue, au prix de m’éprendre ses intérêts pour la cause. Le dernier billet de Leanne Prain, auteure et experte de la culture DYI et craft, intitulé On Yarn Bombing and Ethics, qui m’a inspiré cette brève réflexion, traite de quelques-uns des aspects importants entourant la pratique du tricot-graffiti. Matière à réflexion.

Knit Your Revolt Wooly thinking : Why I yarnbombed Queensland Parliament, l’article paru ce matin dans Le Guardian m’a vraiment fait plaisir. Les membres du collectif Knit Your Revolt ont offert un cadeau très original aux politiciens de Queensland en installant une cellule d’isolement tout de rose tricotée à la porte du parlement. L’artiste et tricoteuse engagée canadienne vivant en Australie, Frankie Vandellous, y décrit les raisons qui l’ont poussé à créer avec ses ami(e)s cette action laineuse pour dénoncer les lois anti-démocratiques et les agissements peu scrupuleux du gouvernement. Cela me réjouit toujours de voir comment le tricot-graffiti réussit à unir les gens en utilisant des moyens pacifiques, ludiques et efficaces afin de subvertir et attirer l’attention sur les maux du monde en pointant la porte de sortie vers un autre paradigme.

Bonne St-Valentin!

Réponse à l’article de Zola publié sur OFFmural-es.

En tant que Ville-Laines, nous avons beaucoup de plaisir à travailler en collectif et à faire de la rue un terrain de jeu.

Nous apprenons entre autre à composer avec la différence. Même au sein des Ville-Laines, nous ne partageons pas toujours les mêmes points de vue et convictions. Ça nous nourrit. Ce qui nous unit avant tout, c’est l’amour de la fibre et notre désir indélébile de tisser du lien social et de se réapproprier l’espace urbain. Au-delà de l’esthétisme, le tricot-graffiti a une vocation: celle d’égayer le quotidien en mettant un peu de couleur et de douceur dans la grisaille urbaine. Sous son apparence d’art naïf, cette approche fait preuve d’une politique horizontale et inclusive.

Notre démarche est ludique. Même dans le choix des mots. Cela dit, ce n’est pas sans questionnement aucun que le mot « terrorisme » a trouvé une place dans notre imaginaire et notre vocabulaire, maintes fois utilisés et remis en question au sein du collectif. Outre le deuxième degré, l’ironie et une bonne dose d’auto-dérision nécessaire, ce terme détourné de son contexte pointe vers un changement de paradigme: un monde où le système de la peur dans lequel nous vivons serait remplacé par celui de la douceur. Lorsqu’il ne restera plus que des terroristes qui posent de la laine, nous aurons réussi notre mission. D’ici là, nous continuerons à contaminer l’espace publique pour utiliser un autre jeu de mot. Dans la même veine, « vandalisme doux » renvoie à des interventions qui n’abîment pas le mobilier urbain. Le mot yarnbombing emploie ce même champ lexical. Cela dit, nous aimons et apprécions toutes formes d’art urbain.

La majorité de nos interventions sont faites de façon guérilla, sans permission. Par contre, nous nous faisons souvent inviter à intervenir dans l’espace publique. Légales ou non, nos actions mettent de l’avant le côté ludique et rassembleur, et non l’acte de désobéissance, afin de faire réfléchir et toucher les gens. Le but étant de rendre cette pratique le plus accessible possible et non l’apanage de quelques-uns. Pas que les autres types d’actions ne soient pas valides ou nécessaires mais ce sont celles qui nous interpellent et celles que nous avons envie de faire. Nous nous sentons libres d’explorer nos lubies et rêvons de lois qui permettraient de mettre de la laine partout!

Au-delà des utopies, de nos idéaux et convictions individuelles, nous tentons de suivre notre instinct, d’œuvrer dans l’ouverture, d’échapper aux dogmes (sous toutes ces formes et coutures) tout en veillant à ne pas se faire récupérer et — surtout — ne pas se prendre trop aux sérieux. Beau programme!

Notre seul et unique but est de recouvrir la ville de laine car nous avons une foi aveugle dans le pouvoir rassembleur de la fibre.

Nous cherchons ainsi à faire augmenter le BNB: le Bonheur national brut.

Nous aimons expérimenter et nous ne nous imposons aucune limite, surtout idéologique, si un projet nous plaît. Notre démarche suit la voie du cœur et de l’inspiration et non de l’intellectualisation. Nous n’avons pas l’arrogance de croire que le tricot-graffiti changera le monde mais nous y croyons suffisamment pour essayer!

Nous avons fait différents types d’interventions depuis notre formation en 2011. Nous sautons souvent à pieds joints dans de nouvelles aventures. Nous apprenons au fur et à mesure ce qui fonctionne ou non pour nous. Nous avons répondu avec enthousiasme à l’appel de nombreux organismes qui voulaient embellir l’espace urbain et retisser le lien social. Nous avons lancé des initiatives pour permettre la réappropriation de l’espace urbain par la population et nous prononcer sur des causes qui nous tiennent à cœur.

Singulier et inhabituel, le projet de la rue St-Denis a commencé, comme c’est souvent le cas, par une rencontre humaine. Le directeur de la SDC, qui est aussi un artiste, un poète, nous a donné carte blanche pour nous exprimer, nous amuser et embellir l’artère commerciale à notre façon. Nous avons accepté un cachet. La rencontre entre ces deux univers distincts, antinomiques, l’art de rue et le commerce, est particulier mais nous avons osé aller au-delà de notre zone de confort. Et le fait que c’était commissionné, n’enlève rien à nos convictions. Nous avions une vitrine pour faire passer un message et nous avons sauté sur l’occasion. En aucun cas, ce type d’intervention nuit aux artistes et aux activistes qui œuvrent dans l’illégalité — au contraire. L’espace publique étant a priori masculin, y ajouter une touche de féminin, même grâce à une commission, est un apport plus que bienvenu dans le paysage urbain. Après tout, c’est de laine dont on parle!

Une fois posés, les tricots ne nous appartiennent plus. La rue se les approprie. Un espace de communications s’ouvre. Nous n’avons été aucunement offusquées de leur envol. Plutôt surprises, surtout curieuses et un peu tristes sur le coup car moins de gens ont pu en profiter: des réactions tout à fait humaines et normales. Nous ne savons pas qui les a retiré. Nous ne pouvons donc pas nous prononcer sur les raisons de leur disparition.

La question de la commercialisation de l’espace public, de la gentrification et du rapport de forces dans une société capitaliste est complexe et nuancée. Le rapport entre l’artiste et le commerce aussi. Il faut rester vigilant mais il faut aussi se préserver de l’extrémisme qui finit toujours par soutenir le système qui le nourrit. Il n’y a pas de positionnement parfait, sans faille (à part les dogmes que nous tentons d’éviter à tout prix).

Savoir respecter la multitude des voies est cruciale même – et surtout – dans l’art urbain. Il y a assez de place sur cette planète pour plusieurs pratiques qui ultimement, vont dans le même sens, même si elles n’utilisent pas toujours les mêmes tactiques. Il y a assez de place pour qu’on puisse TOUTES s’amuser, chacune à notre façon. Nous œuvrons toutes à la réalisation d’un monde plus juste, égalitaire — et plus doux.

La seule radicalisation qui mérite notre attention est celle du cœur.

Tricot pour la paix

Membre du collectif Les Ville-Laines

J’ai rencontré Tricot Pirate tout à fait par hasard, sur Twitter, quelques jours avant la 1ère Journée International du tricot-graffiti en juin 2011. Je me suis présentée au Carré St-Louis, le 11 juin, question de faire connaissance et tricoter quelques mailles avec sa gang de tricoteuses terroristes, Les Ville-Laines. À cette époque, je tricotais depuis à peine six mois mais j’ai pu terminer un rectangle mauve que j’ai accroché au bas d’un lampadaire, question de vivre mon premier frisson de tricot-pirateuse. La piqûre du tricot-graffiti a fait son effet mais j’étais loin de me douter que j’allais éventuellement être recruté dans leur rang et devenir le 5e élément de ce collectif ludique et rebelle!

Le tricot-graffiti, c’est en essence l’art d’embellir l’espace urbain avec de la laine. Loin d’endommager le mobilier urbain, le yarnbombing est souvent toléré par les municipalités et très apprécié par les citoyens. Au de-là de faire sourire les passants, il s’agit aussi d’utiliser la douceur du tricot pour attirer l’attention sur des enjeux sociaux.

En novembre 2011, quelques mois plus tard, j’ai répondu à un appel à contribution des Ville-Laines pour le projet HOME SWEET HOME, qui consistait à recouvrir de laine les colonnes du Carré Viger pour la cause des sans-abris.

©2011 Eli Larin

À cette occasion, j’ai pu fraterniser et voir Pixie Knit, Mimi Traillette et Dinette en action! J’ai posé un tag en point Rivière sur lequel j’avais inscrit à la chainette les mots Tricot = Paix. À l’époque, je militais pour la paix sociale dans le contexte des mouvements Occupons qui, inspiré par le campement de Zuccotti Park, avaient envahi les places publiques un peu partout, cet automne-là, dont celui installé durant quelques semaines à la Place du Peuple (le Square Victoria) à Montréal. Mon désir de participer aux changements sociaux de cette vague progressiste, à l’échelle mondiale, m’a amené à mettre ma passion pour le tricot à contribution.

En s’éloignant du Carré Viger, cet après-midi là, sous un ciel pluvieux et par un temps froid, Tricot Pirate m’a lancé à la blague On t’adopte! Et voilà, il n’en fallait pas plus pour faire de moi une Ville-Laine et… me réchauffer le coeur!

Quelques semaines plus tard, Karine et Marilène (aka Tricot Pirate & Pixie Knit) sont venues tricoter avec moi à l’Hôtel de Ville de Montréal. Les femmes du mouvement Occupons s’étaient réunies ce soir-là pour poser des questions au conseil municipal. À la fin de la soirée, nous avons réuni nos trois bouts pour  »tagger » une rampe d’accès devant l’Hôtel de Ville. Ce moment résonne encore en moi; il me parle de la force du collectif et, par extension, du tricot-graffiti qui a pour principe fondamental la liberté d’action en lien avec la communauté.*

*Extrait du manifeste du collectif Les Ville-Laines, Juillet 2012.

Comme quoi le tricot-graffiti, c’est rassembleur et ça tisse des liens… littéralement!

Pour suivre Les Ville-Laines dans leurs (més)aventures:
http://ville-laines.blogspot.ca/

Vidéo réalisée par EQCQ lors de la 2e Journée Internationale du Tricot-Graffiti, 9 juin 2012.