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Ça fait longtemps que je veux écrire sur Maille À Part, ce collectif de tricot-graffiti basé à Montréal composé en grande partie de femmes. MÀP se définit comme un « collectif féministe radical qui lutte contre le patriarcat sous diverses formes. » Très actives sur la scène locale, elles ont largement contribué au Printemps Érable ainsi qu’à d’autres luttes et mouvements dont Occupons Montréal, la Journée internationale des Femmes et le Jour de la Terre.

Je les croise à l’occasion grâce – entre autre – à mon implication dans le collectif Les Ville-Laines mais également sur les médias sociaux où nous sommes toutes très actives en tant que tricoteuses-activistes.

Il m’arrive parfois de me faire demander s’il y a de la rivalité dans la communauté du tricot-graffiti, composée majoritairement de femmes. Comme je m’évertue à répondre : « C’est du tricot, pas de l’arsenal nucléaire ! » Entre d’autres mots, non, il n’y a pas de compétition. Nous sommes solidaires, uni-e-s vers un but commun; celui de créer un monde meilleur, horizontal et inclusif.

La semaine dernière, j’ai eu la chance de participer à une de leur action guérilla. Tôt le matin, j’ai rejoint MÀP au métro Sherbrooke pour aller accrocher de la laine, sur des poteaux, au coin des rues Saint-Denis et Des Pins. L’installation fût conçue dans le cadre des Journées pour l’affichage féministe dans l’espace public.

Comment le dit si bien Beth Ann Pentney dans son essai Feminism, Activism, and Knitting, si les féministes de la deuxième vague (années 60-70) sont reconnues pour avoir délaissé le tricot, les féministes de la troisième vague, qui ont pris le relais depuis, n’hésitent pas à renverser les stéréotypes en changeant de paradigme. En utilisant l’artisanat au service de la justice sociale, de l’égalité et de la paix universelle, elles se réapproprient un médium qui les confinaient à la domesticité et à l’espace privé jusqu’à tout récemment, et cela dans le but de faire évoluer les consciences.

Dans le contexte de l’art urbain encore fortement dominé par la gente masculine, le geste politique de Maille À Part d’investir l’espace public grâce au tricot-graffiti, en écrivant le mot « Insoumises » très lisiblement sur le mobilier urbain, est loin d’être anodin. En plus d’être provocateur et revendicateur, il pointe vers une issue hors du patriarcat et du capitalisme sauvage, deux institutions qui creusent le fossé des inégalités, encouragent la compétition effrénée entre les individus et favorisent l’exploitation sans trêve de notre planète, pour ne nommer que quelques-uns des effets pervers connus. L’insoumission, qui caractérise le rebelle mais aussi le déserteur, est donc un refus, un acte de résistance nécessaire devant le non-sens et la mauvaise gestion de notre société.

Pour moi, les chaînes qui relient les onze poteaux dans l’installation de MÀP symbolisent, à la fois, ces liens – de solidarité – qui unissent les femmes pour la justice et l’égalité à l’échelle planétaire mais aussi leur sujétion au diktat du patriarcat, dont les préjugés et autres a priori se perpétuent malgré tout aujourd’hui, à des niveaux plus ou moins conscients. Tandis que la vieille station d’essence abandonnée fait figure de relique de ce système social d’oppression qui, au-delà de la condition des femmes, représentent toutes formes de dominations existantes.

J’y vois aussi une corrélation avec l’allégorie de la caverne selon laquelle Platon établi la difficulté de s’affranchir des autres pour accéder à la connaissance, dont une des conditions nécessaires étant une quête personnelle à des fins humanistes. Les poteaux recouverts de couleurs pastelles avec les grosses lettres accrochées, tel un sourire, devant la caverne en ruine, semble inviter le passant à sortir de sa léthargie; à s’ouvrir les yeux pour accéder à la réalité. Un monde meilleur est possible – et déjà en cours – il suffit de se libérer de ses chaînes et de se solidariser. Le vrai changement provient de l’individu qui a conquis sa propre liberté et rejoint les siens hors de la caverne. Fait improbable dans une culture monolithique qui sait si bien imposer son contrôle, mais tout à fait réalisable en mettant de l’avant la créativité humaine. Seule avenue possible pouvant mener au dépassement du paradigme périmé qui résiste à l’avancement de l’humanité – tel un épouvantail préhistorique – en s’opposant à toutes formes de dissension dans le but de conserver son hégémonie.

Au-delà de cette métaphore, le féminisme se définit donc comme un « acte de création » collectif. Un refus global de l’autorité, un appel à la libération, manifeste entre autre par des médiations politico-artistiques telles que le tricot-graffiti. Point besoin de lutter, il suffit d’entrer dans l’Ère Utopique où les initiatives originales et ludiques, menant à une plus grande équité et allant dans le sens du bien-être collectif, sont mis de l’avant. Comme quoi le tricot et le féminisme vont bien ensemble.

Bienvenu-es dans le Nouveau Monde!

MAP
L’installation « Insoumises » du collectif Maille À Part.

J’ai rencontré Tricot Pirate tout à fait par hasard, sur Twitter, quelques jours avant la 1ère Journée International du tricot-graffiti en juin 2011. Je me suis présentée au Carré St-Louis, le 11 juin, question de faire connaissance et tricoter quelques mailles avec sa gang de tricoteuses terroristes, Les Ville-Laines. À cette époque, je tricotais depuis à peine six mois mais j’ai pu terminer un rectangle mauve que j’ai accroché au bas d’un lampadaire, question de vivre mon premier frisson de tricot-pirateuse. La piqûre du tricot-graffiti a fait son effet mais j’étais loin de me douter que j’allais éventuellement être recruté dans leur rang et devenir le 5e élément de ce collectif ludique et rebelle!

Le tricot-graffiti, c’est en essence l’art d’embellir l’espace urbain avec de la laine. Loin d’endommager le mobilier urbain, le yarnbombing est souvent toléré par les municipalités et très apprécié par les citoyens. Au de-là de faire sourire les passants, il s’agit aussi d’utiliser la douceur du tricot pour attirer l’attention sur des enjeux sociaux.

En novembre 2011, quelques mois plus tard, j’ai répondu à un appel à contribution des Ville-Laines pour le projet HOME SWEET HOME, qui consistait à recouvrir de laine les colonnes du Carré Viger pour la cause des sans-abris.

©2011 Eli Larin

À cette occasion, j’ai pu fraterniser et voir Pixie Knit, Mimi Traillette et Dinette en action! J’ai posé un tag en point Rivière sur lequel j’avais inscrit à la chainette les mots Tricot = Paix. À l’époque, je militais pour la paix sociale dans le contexte des mouvements Occupons qui, inspiré par le campement de Zuccotti Park, avaient envahi les places publiques un peu partout, cet automne-là, dont celui installé durant quelques semaines à la Place du Peuple (le Square Victoria) à Montréal. Mon désir de participer aux changements sociaux de cette vague progressiste, à l’échelle mondiale, m’a amené à mettre ma passion pour le tricot à contribution.

En s’éloignant du Carré Viger, cet après-midi là, sous un ciel pluvieux et par un temps froid, Tricot Pirate m’a lancé à la blague On t’adopte! Et voilà, il n’en fallait pas plus pour faire de moi une Ville-Laine et… me réchauffer le coeur!

Quelques semaines plus tard, Karine et Marilène (aka Tricot Pirate & Pixie Knit) sont venues tricoter avec moi à l’Hôtel de Ville de Montréal. Les femmes du mouvement Occupons s’étaient réunies ce soir-là pour poser des questions au conseil municipal. À la fin de la soirée, nous avons réuni nos trois bouts pour  »tagger » une rampe d’accès devant l’Hôtel de Ville. Ce moment résonne encore en moi; il me parle de la force du collectif et, par extension, du tricot-graffiti qui a pour principe fondamental la liberté d’action en lien avec la communauté.*

*Extrait du manifeste du collectif Les Ville-Laines, Juillet 2012.

Comme quoi le tricot-graffiti, c’est rassembleur et ça tisse des liens… littéralement!

Pour suivre Les Ville-Laines dans leurs (més)aventures:
http://ville-laines.blogspot.ca/

Vidéo réalisée par EQCQ lors de la 2e Journée Internationale du Tricot-Graffiti, 9 juin 2012.

Le premier Stitch ‘n Bitch auquel j’ai participé, c’est celui organisé par Capitaine Crochet à la Galerie Fresh Paint à la fin novembre 2011. Fresh Paint était une galerie temporaire, située dans le bâtiment LA PATRIE au centre-ville de Montréal, qui visait à encourager et promouvoir les pratiques du Street Art dont le du graffiti. Cet espace unique en son genre avait été aménagé pour l’occasion avec des sofas et un service de thé. Beaucoup de tricoteuses – et même des tricoteurs ! – s’étaient rassemblées pour échanger et collaborer à un tricot-graffiti collectif.

J’ai tricoté une partie de l’après-midi en compagnie de Dinette et Tricot Pirate pour faire un petit bout en point Rivière sur lequel j’ai brodé le mot PAIX en chainette et auquel j’ai ajouté de la fausse fourrure.

Une fois assemblés, tous les bouts réunis ont servi à recouvrir les rampes d’escaliers à l’entrée de la galerie. Le résultat est une œuvre collective et anonyme. Toutefois, ce genre d’évènement ne se conclut pas nécessairement par un tricot-graffiti.

À l’origine…

Le terme Stitch ‘n Bitch est une expression dont l’origine remonte à la seconde guerre mondiale. En fait, il s’agit de tricoteuses qui se réunissent occasionnellement dans des espaces publics, comme les bars ou les cafés, pour socialiser et partager des conseils. Selon la tradition, elles apportent leurs projets de tricot et en profitent pour échanger, voir  »chialer » (to bitch), question de ventiler un peu. Ainsi des discussions sur des sujets divers, autant domestiques que socio-politiques, peuvent être amorcées dans un climat de détente propice à l’échange. C’est devenu très populaire dans les années 2000 grâce à Debbie Stoller et la publication de son livre, Stitch ‘n Bitch: The Knitter’s Handbook. Sur son site, plus de 700 groupes se sont inscrits à travers le monde: www.stitchnbitch.org

Stitch ‘n Bitch in Montréal

À Montréal, il y aussi un Meet Up, auquel j’ai participé une fois, qui se rassemble le plus souvent dans le Mile-End et qui est suivi par plus de 200 membres. Organisé, entre autre, par la très inspirante bloggeuse de Métro Boulot Tricot, ce Meet Up fêtera son premier anniversaire le 18 septembre 2012.

D’ici là bon tricot!

Capitaine Crochet enseignant le tricot à la galerie Fresh Paint, novembre 2011.